Paco Rabanne est parti. A l ‘exemple d’autres créateurs emblématiques tels que Issey Miyake, Thierry Mugler, Virgil Abloh, Alber Elbaz, Elsa Peretti, Fred Segal, Richard Buckley, Nino Cerruti Pierre Cardin, Karl Lagerfeld, il laissera une empreinte profonde dans le secteur de la mode internationale.
Cher Paco,
On ne va pas se mentir. Un jour tu devais nous quitter et rejoindre d’autres mondes. A 88 ans, tu as décidé d’explorer cet ailleurs si nécessaire et si important pour toi. Oui, ton regard sur l’Univers nous a souvent intrigué, toi qui nous avais prédit tant de malheurs qui, pour nous « êtres humains », ne se sont pas réalisés, tant mieux.
Tu nous laisses heureusement tant de belles choses ici-bas. Tu es né le 18 février 1934 au Pays basque espagnol, à San Sebastian (région qui se pense si différente de l’Espagne), Paco Rabanne — de ton vrai nom Francisco Rabaneda Cuervo. Ton père, le général Rabaneda Postigo, qui commandait la garnison de Guernica (sublimée par l’œuvre de Pablo Picasso qui nous permet de rendre éternel ce terrible massacre – Guernica – 1937 représentant le bombardement de la ville éponyme lors de la guerre civile espagnole, l’une des représentations les plus puissantes des horreurs de la guerre), a été fusillé par les soldats de Franco en 1936.
En 1939, ta famille a fui la guerre civile espagnole pour se réfugier en France. Ta mère a quitté son emploi de première main chez Cristobal Balenciaga, établi à Saint-Sébastien. À l’âge de 5 ans, tu es arrivé à Morlaix, puis as quitté la Bretagne en 1951 pour étudier l’architecture à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Tu as financé tes études en réalisant des croquis de mode, y compris des dessins de chaussures pour Charles Jourdan, et en travaillant en tant qu’accessoiriste pour des grandes maisons de mode telles que Nina Ricci, Balenciaga et Pierre Cardin.
Oui, tu as commencé ta carrière en créant des accessoires, bijoux, cravates, boutons que tu proposais à Dior, Saint-Laurent, Cardin. Avant de te lancer à ton tour dans la mode pour la faire vivre en adéquation avec les matières et les techniques nouvelles que tu imaginais.
BB, Jane Fonda Françoise Hardy
En 1959, tu publies tes premiers dessins de mode dans le journal américain « Women’s Wear Daily » sous le nom de Franck Rabanne, avant de choisir définitivement le pseudonyme de Paco Rabanne. C’est avec cette nouvelle identité que tu lanceras, en 1965, les « Pacotilles » – des accessoires en rhodoïd (boucles d’oreilles et lunettes) en partenariat notamment avec Emmanuelle Khanh –, puis fonderas officiellement ta marque éponyme en 1966. Rapidement tes créations singulières – à commencer par les robes à l’esprit cotte de mailles – attirent tous les regards. Tout comme les défilés aux allures de happening qui s’énoncent loin des présentations très codifiées de l’époque.
« Ce n’est pas un couturier, c’est un métallurgiste ! » Disait de toi Coco Chanel. Et pour cause, tu as introduit dès 1966 des matériaux industriels dans tes collections. À 32 ans, dans les salons de l’hôtel George-V, tu présentes ton premier opus « haute couture » baptisé « Manifeste », composé de « 12 robes importables en matériaux contemporains ». Tes créations expérimentales, ornées de sequins, d’aluminium et de plaques en rhodoïd, sont portées par des mannequins aux pieds nus qui défilent au rythme saccadé du « Marteau sans maître » de Pierre Boulez – chose rare à l’heure où ce sont encore les aboyeurs qui animent les défilés de mode.
Avec Yves Saint Laurent, tu as été l’un des premiers à faire défiler des mannequins à la peau noire. Les stars de l’époque sont séduites par la modernité du propos. Anouk Aimée, Françoise Hardy ou encore Brigitte Bardot (vedettes françaises) plébiscitent la marque. Tu collabores aussi avec l’industrie du cinéma. On se souvient de Jane Fonda (américaine) moulée dans son costume métallisé pour les besoins du film Barbarella (1968) devant la caméra de Roger Vadim (français) – une pièce conservée aujourd’hui au MoMA à New York.
Preuve est faite que métallerie et glamour peuvent rimer. Toutefois, les tenants d’une mode plus traditionnelle ne comprennent pas ce vestiaire qu’ils jugent trop lourd et inconfortable (certaines robes pouvant peser jusqu’à 8 kilos). Qu’importe, tu continues d’expérimenter et d’innover (des modèles fluorescents, en plastique moulé, en catadioptres orangés, d’autres faits de caches de diapositives et des robes de mariée en kit) et se diversifie en parallèle, entre débuts dans la parfumerie (en association avec le groupe catalan Puig) et lancement du prêt-à-porter masculin et féminin. Le succès est au rendez-vous : les jus s’arrachent – à commencer par Calandre, puis XS et Paco, avant One Million.
Le créateur que tu es, qui se décrit davantage comme un artisan, est récompensé d’un Dé d’or pour ta collection haute couture printemps-été en 1990. À partir de 1999, tu te retires progressivement des podiums, quittant d’abord la haute couture, puis le prêt-à-porter – la marque poursuit son œuvre aujourd’hui sous la houlette du designer breton Julien Dossena.
Tout au long de ta carrière, le couturier que tu étais, pratiquait assidument l’ésotérisme. Tu t’étais fait remarquer par nombre de déclarations excentriques et de prédictions hasardeuses. En 1999, tu avais par exemple annoncé dans l’un de tes livres la destruction de Paris par la chute de la station Mir en s’appuyant sur une lecture toute personnelle des prophéties de Nostradamus. Et circonstance particulière, la même année, ta maison avait cessé son activité haute couture pour se recentrer sur le prêt-à-porter.
Nous avions lié toi et moi une certaine amitié. A bientôt, toi qui crois à l’éternité et la réincarnation.
Gérard Flamme